Nicolas Barry - décembre 2023

15 décembre 2023 - Nicolas Barry


Dans un tunnel

 
Dans le tunnel, il y a des mauvaises herbes, des déchets de plastiques et des bouteilles cassées. Ce n’est pas étonnant que des jeunes gens viennent se cacher ici pour baiser.Quand ils remettent leurs pantalons, ils partent avec des petits cailloux collés sur les genoux. Ils croisent sur le chemin de la gare un amoureux sans amoureux qui cherche un coin pour pleurer. L’un des amants va le voir et lui dit : Quelqu’un est allé dans le tunnel il y a quelque temps. Avec un clou qu’il a trouvé par terre, il a gravé un mot sur une brique pour toi. Et plutôt que de prendre le train, ils s’arrêtent sur la terrasse d’un bar pour boire
une bouteille de vin.
L’amoureux sans amoureux s’avance dans le tunnel mais des ombres inquiétantes l’en chassent. Il repart sans avoir rien lu sur le mur.
Sur le chemin de la gare, l’un des amants lui fait signe, et montre un troisième verre qu’ils ont rempli pour lui. Il s’assoit avec eux et ne dit rien, pas un mot, boit son verre, en boit un autre, la bouteille se vide et il ne dit pas merci.
« Essaye encore » dit l’un des amants aux dents rouges.
L’amoureux sans amoureux retourne dans le tunnel. Malgré l’agitation des ombres, il s’avance. On croit que les fantômes se nourrissent exclusivement de silence, mais les voix qui résonnent sur ces murs sont sonores, et il ne les comprend pas. Ce sont des fantômes de poètes, pense-t-il et il ressort encore sans avoir rien lu.
Les deux amants s’embrassent maintenant à pleine bouche, salivent devant des clients tolérants. L’amoureux sans amoureux passe rapidement sans attirer leur attention. Il se dirige vers la gare, prend au guichet un billet de train, regarde les horaires et s’assoit sur le quai. Les deux amants ont bien bu, ils ont mangé : ils sont partis du bar en courant sans payer. Hilares et sans souffle ils s’assoient à côté de lui. « Essaye encore » insistent-ils, et il ne lui en faut pas plus pour qu’il retourne au tunnel. Les ombres agitées nel’inquiètent plus, ni le bruit des poètes et il cherche avec tout son corps le mot gravé sur le mur.
 
L’enveloppe de la brique est dure, à force de frotter sa main dessus, il la blesse.
L’intérieur de la brique est rouge. Si on trace une lettre dedans, elle scintille comme une étoile rouille. Sur une portion de mur protégée de la lumière par une grosse branche de ronce, il voit un mot qui pulse comme une veine gonflée. Il lit le mot : « Salut. » et sans attendre, trouve au sol le clou avec lequel il grave sa réponse : « Salut. »
 
L’amoureux sans amoureux repart ni triste ni content, les amants dorment enlacés sur un banc du quai. Il reprend le train, il reviendra demain. Demain, il a des courses à faire. Le surlendemain, il travaille trop loin pour avoir le temps de passer. Trois jours plus tard, il doit rendre visite à sa famille. Après quatre jours il retourne dans le tunnel. Les ombres sont calmes, le silence est d’une telle douceur qu’on pourrait s’emmitoufler dedans. Il sent que le tunnel se tait comme un ami content. Quelqu’un est passé et a gravé sa réponse : « tu t’appelles comment ? ». 
 
Nicolas Barry