Jean-Paul Rouvrais - mai 2023

22 mai 2023 - Jean-Paul Rouvrais


Rêver un lieu
Lieu de création
Non pas un lieu où tout viendrait mais un lieu d'où tout partirait


Lieu des intimes des forces
Lieu des paroles des voix
Lieu des écoutes des écrits des échanges
Lieu des visions des cris des excès des crises
Lieu des imaginaires des tentatives des tentations
Lieu des pensées et de tout ce qui dedans


Un lieu de création comme un champ


Champ de bataille champ de ruine champ de terre
Il faut choisir il faut toujours choisir
Rêver un lieu c’est aussi ça : faire des choix


Je prends la terre
Terre comme matière
Retournée / retournante
Bouleversée / bouleversante


Chaque fois : Défricher, désherber, cultiver, arroser, guider, tutorer, engendrer. Produire.


Partir
Savoir qu’on va revenir
Le même toujours
Sans l’être tout à fait
Jamais
Il est là l’Eternel Retour
Dans ce lieu


Rêver un lieu comme on fait des rêves d’adieux
Il en est ainsi des ami.es
Des camarades de travail avec qui
Qu’on abandonne qu’on oublie
Qu’il faut savoir abandonner oublier
Parce que vivre c’est bouger


Non pas un lieu pour toute la vie, mais un lieu qu’on rêve, pour chaque étape de sa vie.
Rêver un lieu inconnu impossible, un lieu où tout serait possible. C'est parce qu'il y a des utopies qu'il existe des réalités. Les rêves existent parce qu'ils sont rêvés. Ils n’existent que parce qu’il y a des Rêveuses/Rêveurs.


Rêveuses/Rêveurs comme lieu
Comme un ventre
Charge émotionnelle visuelle sonore picturale scripturale
Espaces de pensées

Rêveuses/Rêveurs comme matière
Brute

 

Chaque discipline a son outil. L'outil du théâtre c'est le théâtre. Le lieu du théâtre. Et même si on sait qu'on peut faire du théâtre partout. Et de pleins de manières. Qu'on peut faire théâtre de tout.

 

Je rêve création je rêve lieu. D’abord lieu. Espaces, points de rencontre, rendez-vous. D’abord lieu oui. Comme un début. Le théâtre démarre toujours par ça. Un rendez-vous, une rencontre, des mots, un regard, un sourire. Une poignée de main. Quelque chose passe ou ne passe pas.
On peut faire théâtre de tout, on ne peut pas faire du théâtre avec tout le monde, on ne peut pas faire du théâtre pour tous.


Il existe pleins de manières de faire théâtre. Il existe pleins de manières d’habiter des lieux.


Puis, quand il y a rencontre, quand des sensibilités, des univers, des pensées se croisent et font corps, alors le temps de quelques mois, de quelques années, le lieu devient l’endroit. Où sensibilités et intimités se confondent et se conjuguent, s’assemblent et se rassemblent.
L’endroit où va pousser la pensée. Où vont naître, grandir, jaillir des imaginaires. Toujours la métaphore de la terre. La terre seule ne fait rien, ne produit rien. Il y faut des bras. On n’apprend rien de soi. On apprend des autres. Toujours depuis les autres.


Ce lieu de création pour moi se tient à cet endroit. A cette place.


Si je dois rêver lieu je rêve ce lieu comme une communion d’âmes. Je l’imagine accueillant, conciliant, sécurisant. Réfléchissant.


Rêver un lieu, c’est savoir qu’à cet endroit on pourra se nourrir à d’autres. Rêver avec eux. Se perdre dans leur voix, dans leurs mots. Parler par leurs bouches.


Mélange des voix, des regards. Propositions de mots, de phrases. Echanges. Le lieu comme carrefour, croisement. Se perdre au milieu d'autres pour mieux se dépasser. Pour mieux se retrouver. Sentir revenir à soi son — encore une fois — Eternel Retour. Le même sans l’être tout à fait. Un autre soi, un autre dans soi. Devenu, par l’autre, par tous les autres.


Celles/Ceux qui voient qui écoutent
Celles/Ceux qui font


Alors ici, à cet endroit, dans ce lieu, une identité commune peut naître. Une esthétique, une pensée, une langue, des nouveaux tracés, une nouvelle carte.


Rêver un lieu, c’est finalement savoir, qu’avec Celles/Ceux qui y seront, nous ferons un bout de route. Et que depuis ce lieu, un phare brillera. Comme un appel lancé. A qui voudra. A qui verra. Des gens qui ne viendront pas par hasard car ils sauront que ce lieu porte en lui une teinte qui leur ressemble. Et que c’est ça qu’ils veulent. Que c’est de ça dont ils ont besoin.


Un lieu comme un chant. Chant des noces. Chant des abîmes.

Jean-Paul Rouvrais