Edito N°2 janvier-juin 2021

Janvier- Juin 2021


≪ La seule façon de le faire, c’est de le faire. ≫ Merce Cunningham

L’avantage de l’incertitude, c’est qu’elle nous ramène à notre vulnérabilité. La vulnérabilité de notre condition, de notre société, des mondes que nous construisons. L’incertitude peut nous permettre de voir ce que nous avions perdu de vue. Elle peut fissurer des armures, des certitudes qui nous étouffaient en silence. Maintenir en nous une attention, une vigilance quant à ce qui importe vraiment.

Au cours du second confinement, le Nouveau Gare au Théâtre, comme bon nombre de lieux, a poursuivi son accueil d’artistes, d’équipes, de projets. Bien que les représentations aient été interdites, le lieu a assumé plus que jamais son statut de ≪ Fabrique d’arts ≫. Nous pouvons vous le dire : quelque chose est au travail ici, tous les jours. Quelque chose se poursuit, s’entête, continue de creuser des galeries invisibles, et ces galeries mènent jusqu’à vous.

Durant cette période pourtant, quelque chose nous a manque. Oui. Nous le sentons et en souffrons comme tout un chacun. Quelque chose manque. Mais patience. Patience. Le vide n’est qu’apparent. Le vide contient à la fois les traces de ce qui a eu lieu, et les prémisses de ce qui est à venir.

Depuis janvier 2020, une nouvelle page de l’histoire du lieu a commencé à s’écrire. Deux espaces ont été nommés, traçant une direction et un pont entre les jeunes générations d’artistes et certaines figures majeures de la scène contemporaine. Ainsi la salle Yoshi Oïda en janvier 2020. Ainsi l’espace Claudine Galea en septembre de la même année.

On entend parler des mondes de demain. Les mondes de demain ne nous intéressent pas. Nous ne croisons pas les doigts. Non, surtout, nous ne croisons jamais les doigts. Nous faisons nôtre cette phrase du chorégraphe Merce Cunnigham : ≪ La seule façon de le faire, c’est de le faire. ≫

Et nous faisons. Comme beaucoup, nos convictions, notre joie et notre endurance ont été mises à l’épreuve. Nous nous sommes interrogés et nous

interrogeons encore sur notre fonction, sur l’utilité d’un théâtre aujourd’hui, dans ce monde. L’incertitude est venue. Elle nous a permis de chercher ailleurs. Nous avons trouvé ici et là des éclaircies, des indices qui, sans dire exactement, disent quelque chose d’une direction.

Ainsi ces mots de l’écrivain Haruki Murakami :

≪ Mais alors, qu’est-ce que je dois faire?

Danser, répondit l’homme mouton. Continuer à danser tant que tu entendras la musique. Tu comprends ce que je te dis? Danse! Continue à danser.Ne te demande pas pourquoi. Il ne faut pas penser à la signification des choses. Il n’y en a aucune au départ. Si on commence à y réfléchir, les jambes s’arrêtent. Et si tes jambes s’arrêtent de danser, moi je ne pourrai plus rien faire pour toi. Tous tes liens disparaîtront. (...)Même si tout te paraît stupide, insensé, ne t’en soucie pas.Tu dois continuer à danser en marquant les pas. Et dénouer peu à peu toutes ces choses durcies en toi, un tout petit peu au début. Utilise tout ce que tu peux. Fais de ton mieux. Il n’y a rien dont tu doives avoir peur. Tu es fatigué, c’est sûr. Tu es fatigué et tu as peur. Ca arrive à tout le monde. Tu as l’impression que tout va de travers, que le monde entier se trompe. Et tu t’arrêtes de danser... Mais il n’y a rien d’autre à faire que danser, poursuivit l’homme mouton. Et danser du mieux qu’on peut. Si tu fais ça, alors peut-être pourrai-je t’aider moi aussi. Voilà pourquoi il te faut danser. DANSE. DANSE TANT QUE LA MUSIQUE DURERA ≫.

Diane Landrot et Yan Allegret